Les chants épiques
Pour bien situer un chant épique populaire, imaginons que La Chanson de Roland, au lieu d’avoir été écrite au XI è siècle, ait vécu uniquement dans la tradition orale populaire et ait été enregistrée seulement au XIX è siècle en milieu paysan. Nous aurions l’équivalent exact d’une byline. Les bylines sont en effet les chants épiques populaires russes de tradition orale, relevés au XIX è siècle (quelques uns à la fin du XVIII è siècle) en milieu paysan. Les sujets sont généralement bâtis sur l’exploit d’un héros (appelé bogatyr), sur son combat avec des adversaires, fantastiques ou réels. Le héros est généralement vainqueur. Les événements décrits sont rapportés aux débuts de la formation de l’État russe, époque qui correspond en même temps à la conversion au christianisme et à l’introduction de l’écriture.
Les évènements sont sentis comme d’une grande importance patriotique et quelquefois religieuse. Cependant, les auteurs ont peut-être trop insisté sur une telle résonance. Les adversaires ne sont en effet que dans un nombre de cas relativement limité les ennemis réels de l’État kiévien : si le preux prend effectivement le glaive pour défendre foi et patrie, ses combats peuvent être beaucoup plus ambigus…
Sviatogor et la force de la terre.
« Sviatagor est prêt à courir l’aventure, / Il a sellé son bon et fidèle coursier, / Et le voilà parti par la vaste plaine. / Sviatagor n’a personne à qui mesurer sa force, / Or sa force coule dans ses veines / Comme coule la source qui gronde. / Et Sviatagor dit les mots qui suivent : / ‘ Si je pouvais trouver un point d’appui, / C’est toute la terre que je soulèverais ! ‘ / Sviatagor chevauche par la steppe sans fin, / Soudain, surgit une petite besace. / Il prend le lien, tire, la besace ne bouge pas, / Il s’efforce de la pousser, elle ne remue pas, / Du haut de son cheval, il veut la soulever, en vain. / ‘ Voilà des années que je parcours le monde, / Jamais je n’ai trouvé merveille semblable, / Jamais je n’ai rencontré pareil prodige, / Une besace que l’on ne peut ni bouger, ni soulever ! ‘ / Sviatagor est descendu de son bon coursier, / À pleines mains, il a saisi la besace, / Quand à la hauteur du genou, il l’élève, / Il s’enfonce dans la terre d’autant ; / Sur son visage, ce ne sont pas les larmes, / C’est le sang vermeil qui s’est répandu, / Sviatagor s’est enlisé sans pouvoir se relever, / Et c’est ainsi qu’il a rendu l’âme. » (Recueil : Rybnikov).