Comme leur nom l’indique, ces chansons sont liées à un rite. En principe, elles ne se chantent pas en dehors de l’exécution du rite, il y a même quelquefois une interdiction à ce niveau. Ceci est vrai pour l’ensemble des chansons du cycle calendaire (chansons de quête, par exemple) et pour les chansons liées à un rite familial (mariage ou deuil). Elles ne peuvent donc être étudiées indépendamment du rite. Le rite a pour but de favoriser la récolte dans les chansons du premier type, de marquer le passage d’un état à un autre, dans celles du deuxième type. Il est lui-même contraignant et il est toujours vécu comme actuel (il existe toujours au présent). Les rites n’en sont pas moins considérés le plus souvent comme une des formes les plus anciennes de la culture populaire. Pour l’ensemble des auteurs russes, ils relèvent d’une religion agraire datant du néolithique.
Ils contiennent cependant des éléments de religion chrétienne orthodoxe. La religion orthodoxe (qui s’impose à partir du X è siècle) s’est efforcée d’une part d’effacer les vieilles divinités, d’autre part d’adapter les vieux rites et lieux de culte à ses propres fins. Ce mélange des deux fois est devenu ce qu’on appelle communément la double foi. Lamentations de mariage. Cycle prénuptial.
La période précédant la noce pouvait être plus ou moins longue. Elle comportait plusieurs étapes… (Quand) la jeune fille était promise, elle entrait dans un état de passage (entre deux familles, mais aussi entre deux états, celui de jeune fille et celui de femme), qui devait durer jusqu’au repas de noces. La jeune fille, même si elle se mariait par amour, devait pleurer amèrement son sort, regretter de vive voix sa vie de jeune fille passée heureusement au sein d’une famille chérie et exprimer sa crainte et son peu d’enthousiasme à l’égard du fiancé et de la famille de celui-ci. Cette tradition pouvait être sous-tendue par un sentiment légitime de peur à l’idée de partir vivre dans « une maison étrangère », surtout si la fille était très jeune. Le fait que les jeunes filles menaient souvent une vie plus libre que les jeunes femmes jouait aussi son rôle.
La lamentation de mariage classique est une effusion lyrique partiellement improvisée, avec personnages, formules et symboles traditionnels. Elle met en contraste l’heureuse vie de la jeune fille et la vie insupportable de la femme mariée ;
La lamentation diffère suivant l’étape du rituel prénuptial :
Au moment des accordailles et de la paumée, la jeune fille s’adresse à ses parents, priant qu’on ne la marie pas, qu’on la laisse s’amuser encore un peu :
« Vous, mes chers parents, / Ayez pitié de moi, jeune fille, / N’ai-je pas été bonne ouvrière, / Ne me suis-je pas assez occupée du ménage ? / Ai-je trop peu peiné durant l’été ? / Ai-je trop couru les bals durant l’hiver ? / N’ai-je pas mené les chevaux au pré ? / N’ai-je pas respecté les personnes âgées ? » (cité par Savouchkina).
Lamentation funéraire :
Motif du mort-oiseau :
Nous nous avancerons sur le beau perron, / Nous regarderons de tous côtés, / Ne voyez-vous pas des pigeons bleus qui volent ? / Et, parmi eux, n’est-ce pas mon père chéri / Qui vient se poser sur la croisée ? / N’est-ce pas lui qui roucoule plaintivement ?/ Qui veut nous consoler, pauvres orphelins, / Qui nous dit un mot, rien qu’un mot, / Pour réjouir notre cœur esseulé ? » (pleureuse Sokolova).
Récit de l’annonce de la mort :
« Je travaillais dans la vaste plaine, / Je travaillais au kolkhoze, / Soudain une nuée noire s’est levée, / Elle a recouvert le ciel radieux, / Mon cœur palpitant s’est serré, / Je gagne le large chemin, / J’avance vers le village, / Mes bons voisins arrivent, / M’annoncent l’affreuse nouvelle, / me disent que tu es mort, mon enfant chéri ! / Lors, mes jambes agiles se sont pliées, / Et j’ai poussé un grand cri, / Hélas, mon enfant chéri s’est envolé tel le pigeon bleu, / S’est envolé loin de moi, pauvre malheureuse ! »