Les croyances russoslaves s’avèrent comme particulièrement archaïques par rapport aux croyances correspondantes du reste de l’Europe. Bien relevées depuis la moitié du XIX è s., elles offrent un intérêt particulier à la fois en elles-mêmes et comme matériel comparatif.
Les dieux païens d’avant la christianisation ont été importés et sont restés artificiels. Ils ont vite disparu et on ne connaît même pas toujours leurs attributions réelles. Le recours aux chroniques médiévales et à l’archéologie permet cependant d’établir quelques relations.
Le culte des morts, étudié par Zélénine et par Propp, suppose deux sortes de morts, les « mauvais » et les « bons ». Les « mauvais » sont les plus archaïques. Ce sont ceux que la terre ne veut pas « recevoir », sous peine d’envoyer des calamités (sécheresse, inondations, grêle, froid intense au printemps, etc.). Ces morts de male mort sont les suicidés, les gens morts d’accident, d’épidémie, les enfants morts nés ou maudits par leur mère, tous ceux qui sont morts de mort violente avant leur terme. À la liste il faut ajouter les sorcier (ère)s même morts de mort naturelle. La terre ne les accepte pas. Pour éviter les calamités qu’elle peut envoyer pour se venger, il faut aller les déterrer et les jeter dans quelque ravin ou marécage. C’est ce que faisaient les paysans malgré les interdictions de l’Église et de l’administration, et quittes à faire quelques jours de prison ou de travaux d’intérêt général. La coutume est ancienne, elle est attestée dès le Moyen Âge. Les « bons » morts, eux, sont ceux qui sont morts de mort naturelle, munis des sacrements de l’Église. La terre les « reçoit en son sein », ils deviennent des sortes de semi divinités chtoniennes tutélaires et sont enterrés au cimetière. Ils sont commémorés à des dates précises du calendrier agricole, en gros pour les fêtes agraires. Les semailles étant faites en Russie au printemps, la principale fête des défunts a ainsi lieu au printemps. C’est à ces mêmes dates qu’étaient fêtés des mannequins faits pour être accueillis en triomphe au début des réjouissances puis dépecés, noyés, brûlés à la fin. « Bons » morts et mannequins étaient ainsi sollicités pour favoriser la bonne venue des récoltes. Les roussalki tiennent le milieu entre les mauvais et les bons morts. Souvent des suicidées, elles noient leurs victimes, mais, apparaissant au printemps et au moment de la floraison du seigle, elles sont liées aux fêtes agraires.
La vénération de la Nature est attestée dans les chroniques médiévales. Le soleil, de genre grammatical neutre (en russe moderne), est incarné dans le folklore sous la forme d’une belle jeune fille aux cheveux d’or ; la lune, ou plutôt le croissant, est de genre masculin et incarnée au masculin. Le culte de la terre, appelée Terre Mère humide, est fondamental. Nous avons vu qu’il expliquait la différence entre les « mauvais » et les « bons » morts. La prière suivante était ainsi adressée à la terre : « O toi, Terre Mère humide qui, tous, nous a engendrés ! ». Au XIX è s. encore, nombre de superstitions et pratiques relèvent de ce culte : la terre, enceinte du printemps, doit être protégée, les serments par la terre sont les plus sacrés, la terre peut se venger en envoyant des calamités, la terre est assimilée à une grande Déesse, à la Mère de Dieu, à Sainte / Dame Prascovie.
La démonologie est foisonnante. La nature, mais aussi la maison et ses dépendances sont hantées par toutes sortes d’esprits, bienfaisants et malfaisants tour à tour. Le léchi ou esprit de la forêt règne sur une forêt omniprésente. Il égare le randonneur qui n’a pas pris la précaution de lui faire des offrandes. Ce dernier doit connaître la conduite à tenir dans ce véritable autre monde qu’est l’univers sylvestre. Des pactes sont passés par les chasseurs ou les bergers avec cette force, toute puissante. Le domovoï ou esprit de la maison est, lui, plus accommodant, mais on n’est jamais à l’abri de ses tocades.
Les rites collectifs et les fêtes sont nombreux encore au XIX è s. La « bratchina » est la fête annuelle du village. Elle comporte sacrifice d’animaux et banquet. Les chroniques médiévales en font déjà état. Ces fêtes ont eu une grande ampleur chez les Slaves de la Baltique. Condamnées par l’Église, elles n’étaient pas seulement une réjouissance collective, mais un rite religieux. Les rites et fêtes féminins, parfois tenus secrets, étaient liés à la force génitrice féminin. Certains de ces rites étaient extatiques.
La tradition orale, bien relevée à partir du XIX è s, laisse passer nombre de conceptions relevant du paganisme. Les contes merveilleux avec leur au-delà et leurs figures surnaturelles présentent un condensé de croyances concernant le pays d’outre-tombe et d’organisations sociétales depuis longtemps disparues ; les chants épiques ont pour sujet le combat du héros contre le Mal et donnent un aperçu intéressant des notions de Bien et de Mal à date ancienne. L’étude des forces adverses (Tchort, le diable, qui est aussi l’esprit des marais ; Zmej, le dragon qui est aussi l’émanation de la Terre Mère) permet d’entrevoir des systèmes religieux et sociétaux antérieurs au christianisme.
Dans la mythologie chrétienne populaire, le peuple paysan a mis en lumière à sa manière de nombreux saints, et ceci lui a permis de poursuivre, sans trop de dommages, sa propre tradition plongeant dans le paganisme.
La religiosité du paysan était, elle, tellement ancrée et diffuse qu’elle s’étendait à tout et se retrouvait en particulier dans trois substances : le bois, le grain, la toile. L’isba est un espace traditionnel sacré. Le grain et le pain sont également sacrés : symboles de bien-être et d’hospitalité, ils ne se vendent pas. La toile est ornée de broderies représentant une divinité féminine en train d’accoucher.
Les sorcières, les magiciens, les guérisseuses ont d’immenses pouvoirs d’intermédiaires entre les deux mondes. Sur les plans linguistique, ethnographique, mythologique, les pays slaves ont souvent un substrat finno-ougrien qu’on ne peut négliger et dont il est donné un aperçu.
En conclusion, on n’est pas en présence d’une mythologie figée, morte, mais d’un monde mythologique vivant, en devenir. Plus difficile à appréhender que les mythologies européennes constituées, l’analyse de ce monde fournit aussi plus de clés sur la mentalité des sociétés qui l’ont produit.